STRANGE* (PV)

La forêt épineuse qui entourait Poudlard venait de se faire inonder de lumière par le soleil levant. Il avait frappé leur cime avec la force d’une lueur jaune orangée, presque rouge, réveillant les êtres encore paresseusement endormis, blottis dans les aiguilles des pins et sapins. Ils prirent bientôt leur envol matinal, survolant la lande écossaise qui resplendissait de fraîcheur sous la rosée qui s’était déposée par-dessus les brins d’herbes gorgés de chlorophylle. L’un d’eux, légèrement hagard, probablement rattrapé par le sommeil dont il avait été délogé quelques secondes plus tôt, finit sa course à Poudlard. Le pauvre oiseau venait de percuter une vitre nouvellement nettoyée, ayant probablement aperçu le reflet du ciel sur le verre propre qui séparait l’extérieur de la présence d’une jeune femme endormie et subitement réveillée.

Un grommellement étouffé brisa le silence qui s’était installé à la suite du « Poc » retentissant qu’avait provoqué le volatile. La pauvre bête s’était certainement assommée et devait gire sur l’une ou l’autre tuile en contre bas. Au pire, il s’était peut-être écrasé lamentablement dans l’une des cours du château. Et bien que Jezabel se soit réveillée du « bon pied » ce matin-là, elle n’en éprouvait pas plus de compassion pour un simple piaf qui avait écourté sa nuit déjà bien trop courte. Lentement, comme si elle usait de toute la prévention et de toute la douceur du monde, elle s’extirpa des couvertures. La chambre, encore plongée dans le noir, s’était rafraîchie pendant la nuit et la jeune femme, encore vêtue d’une simple nuisette presque aussi blanche que sa peau, frémit sous le manque de chaleur, s’empressant de s’engouffrer dans la salle d’eau que Poudlard mettait à sa disposition depuis maintenant déjà trois ans. Et elle se vit face à face avec son miroir.

Ses yeux clairs plongés dans son propre regard, elle se sourit amèrement. Tous les matins, c’était le même rituel. Le miroir, la salle de bain, … Tous les matins, elle se réveillait dans son corps, et elle devait à nouveau le léguer à quelqu’un d’autre, une créature noire et maléfique, qui cohabitait en elle sans même avoir conscience de sa présence. Son sourire quitta ses lèvres tandis qu’elle ramenait sa chevelure couleur feu dans sa nuque, libérant ainsi ses yeux ambre du voile qu’ils formaient. Elle respira, un grand coup, comme pour évacuer tous ses sentiments, tout ce que le sortilège pourrait laisser filtrer entre les deux esprits, avant de prononcer les deux mots qui renouvelaient le cauchemar de sa vie tout les matins…

« Dies … Irae. »

Si au moins cela pouvait ne pas être douloureux ! Elle ne demandait pas que la transition soit agréable, mais la douleur qui coulait de son dos jusqu’à ses épaules pour envahir ensuite son pauvre crâne, comme pour le partager à nouveau en deux… était à la limite du supportable… Sous le tissu de soie blanche, le serpent reprit lentement le dessus sur le lion, plantant ses crocs venimeux dans la jugulaire duveteuse.

* * *

Un matin comme tous les autres en somme. Jezabel s’était levée, s’étirant de contentement dans les draps chauds. Son regard caramel s’était posé sur la marque qui serpentait sur son bras, la marque des ténèbres, et qui restait encore aujourd’hui froide et silencieuse. Une petite moue avait peint son visage de déception avant qu’elle ne se décide à commencer sa journée par une douche, un habillage dans les règles de l’art sorcier et l’apport du petit déjeuner par un elfe de maison.

Elle n’avait pas de cours à donner ce matin là. Pas plus que l’après-midi d’ailleurs. Les choses sérieuses commenceraient le lendemain, 8h. Et dans la solitude de ses appartements poudlardiens, elle souriait déjà machiavéliquement à ce qu’elle allait concocter pour ses petits élèves. Car oui, parfois, cela lui arrivait d’avoir quelques élans d’affections envers les malheureuses têtes blondes dont elle s’occupait. Mais juste pour quelques privilégiés. Quoi qu’il en fût, la journée n’était pas consacrée aux cours, elle n’avait pas envie de rester enfermée entre quatre murs et s’était bien décidée à aller faire un tour. A Pré-au-lard, pourquoi pas ? Finissant un toast préparé avec soin, elle se leva enfin, et saisit sa cape sertie du sceau de Poudlard, qu’elle passa par-dessus ses épaules.

Le temps était clément. Il ne pleuvait pas et c’était surtout là le principal. La jeune femme descendait le chemin qui menait de Poudlard à Pré-au-lard en saluant joyeusement tout ceux qu’elle croisait sur son chemin. Un sourire avenant aux lèvres, elle pénétra dans le petit village alors que les magasins, bars, épiceries sorcières ouvraient à peine leurs portes. Les rues étaient quasiment désertes, les boutiques également. Mais elle n’était pas là pour faire du « shopping », encore moins de la lèche-vitrine…

Mais au bout d’un petit quart d’heure de marche, alors qu’elle rejoignait enfin la rue principale du village, elle avisa la librairie d’un coup d’œil. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus renouvelé sa maigre bibliothèque. Elle fit donc l’erreur d’y entrer… Et elle en ressortit une bonne demi-heure plus tard, une demi-douzaine de bouquins emballés dans les bras. Le libraire lui aurait bien demandé pourquoi elle ne se servait pas de la magie pour se débarrasser de la gêne et du surpoids, elle avait répondu avec une assurance certaine qu’ « On ne rétrécit pas de tels chefs d’œuvre ! Ce serait un pur sacrilège ! » et elle avait claqué la porte derrière elle en grommelant faussement des insultes, probablement réellement adressée à elle-même pour avoir, il y a de cela trois ans, endossé le rôle d’une parfaite gourde.

Une gourde qui s’étala quelques secondes plus tard contre quelqu’un… Ou plutôt sur quelqu’un ?

Elle était petite, mais la vitesse et la force de son pas avaient tout de même réussir à la faire percuter et à faire tomber un homme d’une bonne vingtaine de centimètres de plus qu’elle. Stupéfiée, elle fixait ce visage qui lui faisait maintenant face, son propre corps reposant inconfortablement sur celui du pauvre inconnu qui n’avait eu le tord que d’être au mauvais endroit, au mauvais moment.

« Euh… Bonjour ? »

Elle sourit de sa maladresse en tentant de se relever, cherchant à prendre appui sur autre chose que sur cet homme qu’elle avait renversé. Et elle en profitera bien sûr pour le détailler d’un léger coup d’œil, retrouvant bien vite sa position originelle. Elle permit ainsi au renversé de se relever à son tour. Ses livres avaient valsé autour d’eux, et – toujours sans s’excuser – les rangea dans sa poche, magiquement rétrécis, d’un coup de baguette habile. Elle ne se départit pas de son sourire alors qu’elle tendait ensuite sa main vers le japonais, comme si la situation n’avait rien eu de plus normal, de plus habituel et qu’il fallait désormais faire les présentations.

« Jezabel Grimbald, enchantée. »